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Caroline Segarra

ITW de KATABUCHI Sunao, le réalisateur de "Dans un Recoin de ce Monde"

©Fumiyo Kouno/Futabasha/Konosekai no katasumini Project

©Fumiyo Kouno/Futabasha/Konosekai no katasumini Project

Bonjour à tous !

Au début du mois de septembre, j'ai eu le privilège d'interviewer le grand réalisateur KATABUCHI Sunao pour son film Dans un Recoin de ce Monde. Un moment unique qui m'a donné envie de revoir le film avec un nouveau regard.

J'espère que ses paroles sauront vous toucher vous aussi.

Bonne lecture !

Le réalisateur KATABUCHI Sunao ©Thomas Mackysmowicz

Le réalisateur KATABUCHI Sunao ©Thomas Mackysmowicz

Tout d’abord, félicitations pour avoir remporté le prix du jury au festival d’Annecy il y a quelques mois. J’aimerais vous demander comment est née cette collaboration entre vous et KÔNO Fumiyo, l’auteur du manga “Dans un Recoin de ce Monde” ? Le projet de faire le long métrage de cette histoire ?

Il y a quelques années j’ai réalisé un film qui s’appelle Mai Mai Miracle et qui se passe, historiquement, une dizaine d’années après la seconde guerre mondiale, donc environ 10 ans après Dans un recoin de ce monde. J’avais envie de faire un autre film avec le même genre de personnages mais en remontant un peu dans le temps.
Une des personnes qui m'a beaucoup aidé sur la production de Mai Mai Miracle m’a dit qu’il y avait un manga qui parlait justement de cette période. Je l’ai lu et c’était exactement ce que je voulais, j’ai donc pris la décision de contacter sa maison d’édition.
Il se trouve que parmi les gens qui étaient venus voir Mai Mai Miracle, beaucoup étaient déjà des admirateurs des mangas de KÔNO Fumiyo.
Le responsable à la maison d'édition de Dans un Recoin de ce Monde était lui aussi très intéressé. Il m’a dit qu’il ressentait une sorte de lien très fort entre le manga et le projet du film.
Il avait justement vu Mai Mai Miracle un peu auparavant. Et c’est ainsi que je lui ai transmis la lettre adressée à la mangaka pour lui demander d’accepter mon projet d’adapter son manga en film d’animation.

À ma grande surprise, elle m’a répondu en me disant qu’elle avait adoré ma série de 1996 Meiken Lassie, que cela l’avait beaucoup inspiré.
Cela raconte la vie quotidienne des enfants, comment ils font des gâteaux, etc… Et pour Fumiyo, ce type d’oeuvre qui parle du quotidien est le plus difficile. Parce que pour elle, ce qui est le plus important et le plus difficile, ce n’est pas quelque chose de dramatique ou spectaculaire, mais plutôt les choses simples comme la joie de la vie de tous les jours, comment les enfants apprécient la nourriture, etc… À cette époque elle débutait vraiment en tant que mangaka et elle voulait vraiment créer une histoire sur ce thème.

En plus, quand elle a reçu la proposition pour mettre en animation son oeuvre, elle a eu l’impression de voir comme une sorte de lumière au bout de la direction dans laquelle elle voulait aller, et cette lumière s’est approchée d'elle. Elle ne me l’a pas dit en face mais on me l’a rapporté. 
Que ce soit pour moi ou pour l’auteur du manga, ainsi que pour beaucoup de gens qui ont vu le long-métrage, c’est un film du destin, comme si nous étions destinés à le faire.

Effectivement, c’est bien ce qu’on ressent. C’est le destin. C’est émouvant de connaître le contexte de la création de ce beau film. On y voit en effet beaucoup le quotidien de l’héroïne Suzu, plein de petits détails nous sont montrés avec beaucoup de précision. J’imagine que cela a demandé beaucoup de recherches comme pour les méthodes racontées pour réussir à faire à manger avec peu de rations. On retrouve avec la même justesse la reconstitution des décors et paysages. Je prends l’exemple de Hiroshima qu’on voit au début du film. Y ayant vécu, j’étais particulièrement bouleversée de voir ces rues pleines de vie et cela de façon si authentique. Parlez-nous de votre travail sur ce point ?

C’est vrai que la reconstitution de la ville de manière très fidèle était un de nos objectifs. Elle a tout perdu avec la bombe atomique mais il y a quelques bâtiments qui ont survécu.
Par exemple ce bâtiment a survécu.
C’est le Rest House (voir photo ci-contre) qui se trouve dans le Parc du Memorial de la Paix d’Hiroshima, on peut actuellement y acheter des boissons et autres.
Construit en 1929, c’était au départ un magasin de kimonos. Et comme ce bâtiment est toujours là, si on se rend sur place, on peut le toucher de nos propres mains. 

Comparaison entre avant et aujourd'hui


C’est vraiment le fait qu’on puisse toucher ce qui existe encore aujourd’hui qui rend réel ce film.
J’ai pu reproduire les alentours grâce à des photos, mais la boutique d’à côté malheureusement, elle n’est plus là aujourd’hui, et je n’avais rien trouvé comme info.

Du coup j’avais fait plusieurs dessins différents pour aller sur la place de la boutique dont on n’avait plus de trace. 
Mais, la fille du propriétaire de la boutique juste à droite de celle-ci m’a contacté. Elle m’a dit qu’elle avait des informations sur la boutique que je voulais dessiner.
Quand on a commencé les projets de recherches, le fils du propriétaire du magasin était encore en vie, malheureusement, il est mort avant qu’on ne puisse se rencontrer. Sa fille m’a alors confié un exemplaire de leur papier d'emballage.

ITW de KATABUCHI Sunao, le réalisateur de "Dans un Recoin de ce Monde"

C’est un papier authentique de cette époque là ?!

Oui, il date d’avant la bombe atomique. Elle était enfant à cette époque et elle avait précieusement gardé ce papier depuis tout ce temps.
Ce design permet de s’imprégner de l’époque et de la finesse de Hiroshima. Il suffit de le regarder pour comprendre.
Le père de la fille qui nous a parlé est là (de la boutique d’à côté qu’on ne voit pas).

 

Et la fille qui nous a apporté le papier, c’est la sœur du bébé qu’on voit ici. 
Malheureusement, les quatre personnes qu’on voit ici sont mortes à cause de la bombe.

Ce monsieur tout au fond, il a survécu. Peu de temps avant la bombe il était parti vivre dans une autre ville, mais quand il vivait à Hiroshima, il portait ce “happi” et vendait des kimonos comme dit plus tôt. Et donc, son happi a survécu avec lui. 

L'homme au happi devant son magasin

Ce que je voulais vraiment, c’était montrer l’environnement dans lequel Suzu vivait et cela avec le plus de réalisme possible. 
Décrire une ville, ce n’est pas juste dessiner des bâtiments. Il faut impérativement les habitants avec. La fiction rejoint donc la réalité car on voit Suzu dans cette ville avec des gens qui y ont vraiment vécu. 
Tous ces bâtiments sont réels !

Et voici la boite de caramels que Suzu voulait acheter (photo ci-contre), le fabricant était juste derrière elle.

Pour montrer les choses de cette façon, il fallait vraiment du courage. Il y a beaucoup de gens qui sont morts, et pour tous ceux qui ont survécu, la ville est finalement comme un patrimoine avec beaucoup de souvenirs familiaux. 

Pour moi, c’était important de garder, de protéger et de montrer les souvenirs auxquels tiennent les survivants. Il fallait les respecter ainsi que ceux qui ont survécu. 

Tous ces gens avec le coiffeur, ils ont vraiment existé. Le fils du coiffeur est toujours en vie. Et il garde très précieusement des photos de sa famille et du salon de coiffure à l’époque. Il était d’ailleurs ravi de voir tous ses souvenirs à l’image dans le film.

Ça fait 70 ans que la guerre est finie, mais il reste convaincu que sa famille va revenir un jour. Il a décidé de créer la tombe de sa famille 70 ans après la fin de la guerre. Il a enfin renoncé, enfin. Mais quand je l’ai revu dernièrement, il avait changé d’avis et ne voulait pas abandonner.
Voir le film avec tous ces détails, ça change tout, cela apporte un nouveau regard. 
J’ai dans l’idée que ce film permet de diffuser l’idée qu’il faut respecter les morts et les survivants.

©Fumiyo Kouno/Futabasha/Konosekai no katasumini Project

©Fumiyo Kouno/Futabasha/Konosekai no katasumini Project

200 000 morts à Hiroshima, 3 millions de Japonais au total. Mais bien sûr si on compte tous les morts du monde entier, c’est beaucoup plus.
Vraiment je voudrais qu’on garde en tête qu’il faut respecter les morts.
Au Japon, beaucoup de spectateurs du film ont plus de 70 ans et ont eux même vécu la guerre. Et cela leur a procuré une forte nostalgie car il ont pu retrouver l’ambiance de ce qu’ils avaient vécu à l’époque.
Longtemps, les survivants racontaient des choses difficiles, ce qu’ils ont vécu pendant la guerre à leur famille, et après avoir vu le film, ils ont commencé à raconter leur quotidien joyeux à leurs petits enfants. Ce film c’est vraiment ce qu’il se passait tous les jours.
Car la guerre ça n’arrive pas d’un seul coup, il y a la vie quotidienne avant et après. En voyant ce genre de film, on se rend compte que ces gens sont comme nous.
Dans la série Lassie que j’ai réalisée, j’ai décrit beaucoup d’enfants qui jouent, qui font des gâteaux, dont la maman prépare à manger, des choses simples du quotidien. Cette expérience m’a beaucoup servi pour réaliser Dans un Recoin de ce Monde.

©Fumiyo Kouno/Futabasha/Konosekai no katasumini Project

©Fumiyo Kouno/Futabasha/Konosekai no katasumini Project

On peut donc dire que ce film est un message de paix, d’espoir, une belle preuve de courage ?

Oui, on parle de l’avenir, de l’espoir, mais il ne faut pas oublier les nombreux morts qui auraient pu avoir cet espoir et qu’ils n’ont pas eu.
Suzu est une femme qui a la capacité d’imaginer des tas de choses, mais face à une telle guerre elle était impuissante.
Même elle, n’était pas apte à affronter cela.
Et c’est pour ça qu’il faut garder beaucoup de respect pour tous ces gens et pour la capacité à voyager de l’imagination de Suzu.
C’est triste à dire mais c’est pour ça que j’ai une affection toute particulière pour le personnage de Suzu.
C’est pas du tout comme un film hollywoodien dans lequel on essaie de vaincre l’ennemi. Je voulais que les spectateurs aient envie de protéger, de développer une forte affection pour ce personnage.

©Fumiyo Kouno/Futabasha/Konosekai no katasumini Project

©Fumiyo Kouno/Futabasha/Konosekai no katasumini Project

Un grand merci à monsieur KATABUCHI pour son temps et cette passion qu'il a partagé avec nous.

Le film est sorti depuis le 6 septembre et n'attend que vous pour aller le voir en salle ! N'hésitez pas à me dire en commentaire ce que vous avez pensé du film si vous avez pu le voir.

Pour sa 3e semaine de diffusion, voici la liste des cinémas où vous pourrez le trouver.

Remerciements : KATABUCHI Sunao, Takahashi Shôko, Septième Factory

La bande originale du film interprétée par Kotringo en live à la télé. Le titre : Kanashikute yarikirenai

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